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Chapitre bonus – Nathan

Devant le match de la NHL opposant l’équipe de Chicago à celle de Boston, je rêvasse à ce que pourrait être mon futur si j’étais recruté par la draft et finissais joueur professionnel. Rien que d’y penser, j’en ai des frissons. 

Devenir le capitaine de l’équipe de hockey de Harvard est la meilleure chose qui me soit arrivée. J’aime tant ça que je ne peux imaginer un avenir où ce ne serait pas mon quotidien. 

La vue des dossiers éparpillés sur mon bureau me suffit à confirmer cette idée. Ce sont les notes d’un ancien joueur sur le cours de droit international que je vais commencer cette semaine. Je suis censé les comprendre et les apprendre par cœur pour prendre de l’avance. C’est de cette manière que je fonctionne depuis mon entrée à la fac : je passe l’été à prédigérer toutes les matières qui seront au programme l’année suivante afin de dédier la majorité de mon temps au hockey. 

—  Nathan, chuchote la voix de Carl, mon ailier droit, ainsi que mon premier colocataire. 

— Oui ? 

Il se tient dans l’entrebâillement de la porte de ma chambre, un pied à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, comme s’il surveillait le couloir. 

— Il faut que tu réussisses à convaincre Brett de nous accompagner ce soir. 

Brett, mon deuxième et dernier colocataire, est du genre à préférer rester enfermé plutôt qu’à sortir s’amuser. 

— Tu ne peux pas le faire toi-même ?

— Non, je dois aller au centre commercial. Léna sera bien là, n’est-ce pas ?

— Dégage, pervers, lâché-je en lançant ma balle antistress sur lui. 

Il est obsédé par notre nouvelle voisine, principalement parce qu’elle est Française. Et aussi parce qu’elle est superbe. Si j’étais intéressée par les femmes, elle me ferait probablement de l’effet. 

Je l’ai rencontrée lundi alors qu’elle était présente au campus pour la pré-rentrée réservée aux étudiants étrangers. Contrairement aux autres mecs, ce n’est pas son physique qui m’a le plus impressionné, mais sa capacité à faire abstraction de l’émoi qu’elle suscite. Cette fille manie la neutralité comme personne. Il est presque impossible de savoir à quoi elle pense ou quelles émotions la traversent. Ça m’a tout de suite plu, j’avais l’impression que nous partagions un secret. Celui de  se cacher au reste du monde. 

Je me lève de mon siège, puis prends la direction du bureau de Brett. Il est devant son ordinateur de gamer, occupé à taper sur son clavier. Ses yeux sont encore plus fatigués que d’habitude, ce que je ne pensais pas possible. 

— Tu n’as pas intérêt à nous fausser compagnie ce soir, m’exclamé-je en m’allongeant sur son canapé. C’est notre dernière année, il faut en profiter.

— Mec, tu sais que les soirées en boîte de nuit ne sont pas mon truc. On va me reconnaître, ça va me saouler. 

Ces dernières années, son nombre d’abonnés sur Twitch a considérablement augmenté. C’est allé si vite qu’il n’a pas eu le temps de s’habituer à la célébrité. 

— On me reconnaît aussi. 

— Ce n’est pas pareil, tu le sais. Personne ne te demande des autographes et des selfies, toi. 

— Allez, concentre-toi sur le positif au lieu de rester focalisé sur le négatif. 

Il me rappelle ma mère, ancienne patineuse étoile. Elle avait déjà pris sa retraite quand j’étais jeune, mais tout le monde continuait à lui parler comme s’ils la connaissaient. 

Brett réfléchit. Il se frotte le visage avec ses mains, faisant apparaître ses bras tatoués devant mes yeux. Je n’ai jamais été emballé par l’idée de dessiner sur ma peau de manière définitive, seulement, je dois avouer que ça lui va bien. Ça fait partie de lui. 

— OK, je viendrai, finit-il par concéder. Par contre, je ne garantis rien sur le temps que je resterai. 

J’acquiesce en souriant. C’est déjà bien. 

                                                                                        ***

Quelques heures plus tard, nous entrons tous les trois dans la boîte de nuit, privatisée par une des fraternités du campus pour l’occasion. On me demande souvent pourquoi je n’adhère à aucune d’entre elles. Après tout, je suis le capitaine de l’équipe de hockey, je devrais jouer sur ma popularité. La vérité est que ça ne m’a jamais intéressé. Depuis la mort de mes parents, je recherche peu la compagnie des autres. 

Carl et moi nous dirigeons vers le bar, tandis que Brett part chercher une table. Il ne boit pas d’alcool. D’après lui, ça aggrave ses insomnies. D’après moi, il ne supporte pas de perdre le contrôle. 

— Une pinte, commandé-je. 

— Deux, ajoute Carl, avant de me montrer une blonde au fond de la salle. 

Je reconnais tout de suite Léna. 

—  Tu n’as aucune chance, commenté-je. Elle est trop sophistiquée pour toi. 

— Les filles à papa m’adorent. 

— Qu’est-ce qui te fait croire que c’en est une ?

— Tu as vu comment elle est habillée ? On dirait une avocate !

— Justement. Une fille à papa profiterait de la soirée pour se dévergonder. 

— On s’en tape, elle est française. 

J’ai envie de lui mettre une claque derrière la tête, mais il vient de récupérer son verre et j’ai peur de tout renverser. À la place, je le suis docilement à travers la foule. Il est facile à repérer avec le béret et la marinière qu’il a jugé bon de revêtir pour impressionner Léna. Parfois, j’ai l’impression que ce mec est une blague qui a pris la forme d’un humain. 

À mi-chemin, je me rends compte que Brett n’est pas seul. Il est accompagné de Ron.

Je souffle.

D’après les informations que j’ai réunies, c’est ce dernier qui l’a initié aux tatouages et au free fight. Il y a une telle violence dans ses yeux que je préfère éviter de l’approcher. De toute façon, il m’a bien fait comprendre que lui non plus ne souhaitait pas avoir affaire à moi. 

Il me lance à peine un regard à notre arrivée, avant de tilter sur la tenue de Carl. 

— Pourquoi tu es habillé comme ça ? l’interroge-t-il. On dirait un clown. 

— Je drague une Française, répond Carl. Là-bas, à droite ! ajoute-t-il en désignant Léna. 

Toutes les têtes se tournent vers elle, sauf la mienne. Je préfère observer mes compagnons et leurs réactions d’hommes des cavernes. Carl a de la bave qui coule aux coins des lèvres, tandis que Brett fronce les sourcils. Il est trop exigeant envers la gent féminine pour s’intéresser à notre voisine. En lui vomissant dessus samedi dernier, elle est tombée trop bas dans son estime. 

Ron, quant à lui, lui accorde son attention à peine quelques secondes. Rapidement, il dévie ses yeux marron vers moi, me mettant mal à l’aise. Je sais qu’il me juge et je déteste ça. Il pense me connaître, mais il se trompe. Je ne suis pas l’archétype du sportif populaire qui fait tomber les nanas et utilise son argent et sa popularité pour obtenir tout ce qu’il veut. 

À cet instant, j’ai envie de le crier. J’ai envie de hurler dans la boîte de nuit que mon identité est bien plus complexe qu’elle n’y paraît ; que chacun de mes choix et chacune de mes actions sont étudiés au millimètre près. Que j’étouffe. 

Sauf que je préfère boire plutôt que de m’assumer pleinement. 

Faisant fi de l’inspection de Ron, je prends une longue gorgée de bière. 

— Tu es certain qu’elle est célibataire ? demande Brett. 

— Maria m’a dit que oui. 

— Après t’avoir bien rappelé que tu n’avais aucune chance, commenté-je. 

— Tu sais, mon pote, je commence à m’interroger sur ton orientation sexuelle. Parce qu’il faut vraiment être gay pour être imperméable. 

Mon cœur rate un battement. Je réponds à cette remarque en lui donnant la claque qu’il a manquée de près tout à l’heure, puis fais semblant de me concentrer sur la foule. 

Le mot gay résonne longtemps dans mon esprit. Ce n’est pas la première fois que Carl blague sur le sujet, mais le fait que ça se produise devant Ron me perturbe. Face à lui, je me sens nu et indésirable, deux émotions que je ne sais pas gérer. 

Léna apparaît dans mon champ de vision. Je me focalise sur elle pour m’empêcher de ressasser perpétuellement les mêmes problèmes. Elle évite les œillades et indique aux mecs qui l’accostent que ce n’est pas réciproque. Sous son masque impénétrable se tapit un agacement palpable. 

J’ai soudain une idée, comme si une lumière venait de s’allumer. Elle et moi cherchons la même chose : la paix. 

… Rien ne nous empêche de la trouver ensemble. 

Sans annoncer mon départ, je quitte la table et rejoins l’entrée des toilettes. Quelques minutes plus tard, ma voisine en sort. 

— Tout va bien ? lui demandé-je.  

 — Mouais. Et toi ?

— Mouais. 

— Un problème ?

— Une solution. 

— Pardon ? 

— Nous avons tous les deux un problème et j’ai une solution commune à te proposer. 

— Si c’est un plan drague foireux, tu peux aller te faire foutre. 

— Je t’assure que tu n’es pas mon genre. 

Un vagin et trop de seins. 

— Tu n’es pas le premier à utiliser cette excuse. 

— Viens, dis-je en lui prenant la main. 

Elle se laisse faire et me suit à travers la salle. Nous sortons de la boîte et nous retrouvons dehors. 

La fumée de cigarette me pique les yeux, alors je nous éloigne encore un peu. Plus nous nous isolons, mieux ce sera. La proposition que j’ai en tête ne doit absolument pas s’ébruiter. 

Quand je suis certain d’avoir son attention, je me lance. 

— Tu en as marre des forceurs qui te collent et tu voudrais qu’on te laisse tranquille, n’est-ce pas ? 

— Oui… 

— Moi, j’en ai marre qu’on s’intéresse de trop près à ma vie sexuelle. 

— Et donc ? 

J’espère qu’elle ne me rira pas au nez. Je compte beaucoup sur son désespoir pour accepter mon idée folle. 

— Sois ma petite-amie. 

— Pardon ? 

— On peut se laisser une période d’apprentissage avant d’officialiser notre relation. Crois-moi, presque aucun mec ne voudra prendre le risque de marcher sur mon territoire. Avec moi, ta tranquillité est assurée. 

— Je rêve ou tu viens de faire une métaphore extrêmement sexiste ? 

— Oui, désolé. 

Aux grands maux les grands remèdes. 

Tandis qu’elle réfléchit, je panique. J’ai beaucoup à perdre si ça venait à se savoir. La réputation d’un joueur est aussi importante que son niveau pour un recruteur de la draft

Je sens qu’elle ne comprend pas vraiment ce que je lui propose, alors explique:

— Le monde extérieur pensera que nous sommes un couple. On se tiendra la main en public et passera du temps ensemble. Mais je ne te toucherai jamais, ne t’embrasserai pas et ne chercherai pas à retirer quoi que ce soit d’autre de cet arrangement. 

— Pourquoi ? 

Parce que même moi, je ne sais pas qui je suis. 

J’écarte mes pensées dramatiques pour lui révéler une partie de la vérité. 

— Je veux me concentrer sur le hockey, mais c’est difficile à faire accepter aux autres. Mes coéquipiers me bassinent tous les jours avec leurs histoires de nanas. Ils ne comprennent pas pourquoi je n’en ai rien à faire. Leur harcèlement commence sérieusement à me taper sur le système. Je perds même l’envie d’être avec eux et j’ai peur que ça impacte mon jeu. 

— Je…

À sa tête, je sens qu’elle veut refuser sans savoir comment me l’annoncer. 

Voilà, je me suis ridiculisé. Et si elle raconte cet échange à qui que ce soit, ça pourrait être désastreux. Bon sang ! Qu’est-ce qui m’a pris de faire cette proposition à une totale inconnue ? 

— J’ai vraiment cru que tu étais comme moi. Oublie, dis-je avant de m’éloigner. 

— Attends ! s’écrie-t-elle.

Sa réplique m’arrache une longue inspiration. Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais arrêté de respirer. 

 — Tu me jures sur la tête de ton chien que tu ne chercheras jamais à aller plus loin ? 

— Je n’ai pas de chien.

— Je parlais du blond qui te suit partout. 

Je souris, surpris par sa répartie. 

— Dis-lui que tu veux te marier et avoir des enfants pour t’en débarrasser facilement. 

— Jure. 

— Je le jure. 

En faisant taire mes coéquipiers, je gagne une tranquillité d’esprit inespérée. Et rien qu’à cette pensée, une lueur d’optimisme s’empare de moi. 

— D’accord. Par contre, je veux des places VIP pour tes matchs. J’ai besoin de me faire des copines.

— Pourquoi ? 

— Pourquoi pas ?

Je lève les yeux au ciel, mais n’insiste pas. Elle ne doit absolument pas changer d’avis. 

— Tu connais les règles du hockey au moins ? l’interrogé-je. 

— C’est la même chose pour tous les sports, non ?  

— C’est-à-dire ? 

— Une bande de macaques qui court après une baballe pour la mettre dans un troutrou. 

— Ne dis jamais ça en public, sinon notre deal est caduc. 

C’est faux, bien entendu. Sans le savoir, elle vient de m’enlever un poids incroyable des épaules. Grâce à elle, je n’angoisserai plus à l’idée qu’on me pose des questions ou que mon secret soit découvert. 

Aujourd’hui plus que jamais, je vois l’avenir sous un meilleur jour.

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