Scène bonus

— Brett, tu es vraiment sûr de toi ? 

C’est la centième fois qu’elle me pose la question. 

— Chérie, je ne veux plus t’entendre. 

Polo, mon tatoueur, me demande implicitement une dernière autorisation. J’acquiesce de la tête, puis encaisse les premières secondes de souffrance. Une fois ce moment passé, ça va un peu mieux. J’ai beau avoir les bras couverts de tatouages, ce n’est jamais agréable. 

Léna est installée à ma gauche. Elle plisse les yeux et observe chacun des mouvements de Polo, l’ongle de son index entre ses dents. Mon regard descend jusqu’à son annulaire, où trône son alliance en or. Comme elle, elle est simple. Pas de diamants ou de fioriture inutile. Il y a juste mon prénom gravé à l’intérieur. 

Se marier n’a pas été aussi facile que je l’avais imaginé. Il y a eu une tonne de paperasse, mais surtout des choix difficiles à faire. Le pire a été celui du nom de famille. 

Léna a été tiraillée entre toutes les options qui s’offraient à elle. Puis, un matin, elle s’est réveillée et m’a annoncé que, quitte à porter le nom d’un homme, elle préférait que ce soit le mien plutôt que celui de son père. Alors elle est devenue Léna Samata-Laftales. Ça l’a un peu dérangée de perdre son héritage français, mais Duchateau Samata-Laftales était trop long pour elle. 

J’ai essayé de ne pas influencer son choix du mieux que je pouvais. Pourtant, je n’ai pas résisté à exploser de joie quand j’ai appris sa décision. Qu’il y ait nos deux noms ou seulement le mien m’importait peu, du moment que nous avions le même. 

« On compensera en donnant des prénoms français à nos enfants », m’a-t-elle dit. 

La discussion qu’elle a eue avec ma mère l’a rassurée. Même avec tout ce que je sais sur ma femme, j’arrive encore à être médusé devant sa force. Elle ne s’est pas plaint une seule fois, préférant se concentrer sur la chance d’être suivie par un médecin doué et réputé. Apparemment, c’est son alter ego Valentina qui lui a appris à tirer profit du meilleur. 

J’adore le fait que mon épouse soit aussi folle. 

— Tu n’as pas mal ? me demande-t-elle. 

— Un peu, si. 

— Alors pourquoi tu souris ? Tu aimes ça ?

— C’est toi que j’aime. 

Elle rit, puis lève les yeux au ciel, avant de se reconcentrer sur Polo. Son air redevient d’un coup sérieux. 

— Je te castre si tu te rates, le menace-t-elle une énième fois. 

— Je sais… 

Cette fille me tue. 

À la fin de la séance, Polo prend ses jambes à son cou. Je crois qu’il préfère ne pas être là au moment où Léna découvrira son œuvre. C’est dommage, nous avons travaillé plusieurs semaines sur ce dessin. Mais bon, je le comprends. Tout le monde n’est pas fait pour ma sorcière.  

Je tourne mon visage et observe enfin le dessus de ma main droite. C’est exactement ce que je voulais, Polo ne s’est pas foutu de moi. 

À la limite de mon poignet se trouve une lampe, d’où sort un génie à trois têtes. Elles représentent les différentes versions de Léna : la sorcière, la guenaude et l’ange. À elle seule, elle symbolise mes trois vœux. 

— Purée, Brett, souffle-t-elle. Tu l’as vraiment fait ! Tu m’as vraiment tatouée sur ton corps. Trois fois, en plus ! Je pensais que c’était une blague. 

— Dès que j’aurai un coup de mou, il me suffira de regarder ma main pour aller mieux, m’exclamé-je. C’est la meilleure idée que j’ai jamais eue. Après celle de te demander en mariage, bien sûr. 

J’observe son air à la fois choqué et satisfait. Sa bouche rouge en forme de cœur, ses larges yeux verts, ses cheveux blonds qui recouvrent la moitié de son corps. 

Mon pouls s’emballe. Je n’en reviens toujours pas de m’être fait avoir par son charme destructeur. 

Cette sale sorcière…